C'est noêl !
En traversant la place de la mairie , où les forains ont installé leurs manèges et autres attractions , les effluves des friandises bon marché qu'ils vendent , tels la madeleine de Proust , ont rappellé à ma mémoire les noêl d'antant , ceux de ma petite enfance .
Au même moment je croisais ce couple pathétique de l'enfant qui pleurait parce qu'il voulait un autre tour de manège et de sa mère qui lui « criait dessus » .
Toutes ces images tendrement ou douloureusement enfouies dans les strates anciennes de ma mémoire remontèrent alors à la surface .
La mémoire est très cinématographique : elle projette sur l'ecran de notre conscience , pour paraphraser Nougaro , ces « rush » que la vie a jeté .
Il y a eu de ces noêls si parfait pour un coeur d'enfant , religieusement élaborés par les officiants parentaux , qui voyaient ce long cérémonial tendre vers une joviale eucharistie . Cela commençait par l'ouvrage culinaire maternel si bien rôdé , qui emplissait la maison de ces parfum de mets rotis ,ne laissant aucun espoir de surprise quant au menu scrupleusement répété année après année tel une évangile roborative .
Nous , mon frère et moi participions à la fête annoncée en chantant la messe ; allant jusqu'à rédiger d'une main maladroite au crayon de couleur « bagnol et fargeon » les fameux menus du réveillon , « festin de roi » comme disait mon frère .
Invariablement mon père rappelait « l'orange de jean geheno », à nos jeunes oreilles impatientes .
Nous nous quittions bien vite pour une nuit agitée ,chacun révant à ce qui ne devait pas être une surprise .
Le matin , les froids relents des agappes , se mêlait au parfum délicat du sapin et comme des millions d'enfant nos yeux exorbités de bonheur découvrait ces paquets multicolores en équilibre instable sur les charentaises familiales .
Il y eu ensuite ces noêls pathétiques où chacun tentait déséspérement de maintenir à flot « l'arche de noêl » qui devait nous emmener tous vers cette improbable terre émergée des romans familiaux .
Cela commençait pareillement par les effluves cuisinières qui espéraient stimuler la joie de retrouver ces simples et parcimonieuses denrées que seule la fête de la nativité autorisait . Mais le monde et nous même avions changé, la vie etait passée par là et ces plat naifs avaient un goût de cendre ; ainsi c'est avec létargie que nous nous levions pour découvrir l'impossible surprise que cachait les papiers rouges et or que nous avions nous même disposé le soir ,après ce repas dont chacun ressentait le fragile oeucuménisme .
Et puis il y eu d'autres noêl en lambeau , déchirés aux quatres coins de la france , des noêls sans famille .
Il y eu mes premiers noêl de médecin , où l'on réalise ce que cette fête a de cruel .
Et encore des noêls absurbes ;
enfin , une autre chance de revivre des noêls enfantins que la vie m'a offerte avec Maria .
C'est moi aujourd'hui contre toute attente qui habille le sapin , décort la maison et prépare le repas du reveillon ; c'est moi le sinistre et cynique misantrope qui menace mes filles des sanctions « santaclausiennes » parce que leur chambre est dans un désordre bien naturel .
Je regarde le ciel espérant la neige pour que mes petite terreurs cherchent les traces du traineau .
Voilà c'est finalement l'esprit de noêl !